Le Splendid (et son directeur pas comme les autres)

Illustration Anaïs Lefebvre.

Malgré sa petite taille, le Splendid est parmi les théâtres les plus connus de la rive droite car son nom est définitivement associé à celui de la troupe qui le créa en 1981. Phénomène rare que d’associer autant de noms de comédiens vivants à un théâtre. Bruno Moynot, l’inoxydable Zadko Preskovic du Père Noël est une ordure, le dirige actuellement en cogérance avec Arthur Jugnot et Morgan Spillemaecker. En retraçant son parcours, c’est aussi l’histoire du théâtre Le Splendid Saint-Martin qui resurgit.

Pas très grand, look bobo chic, bien conservé, vous ne le reconnaîtriez pas dans la rue, contrairement à ses anciens camarades de jeu, Jugnot, Clavier, Lhermitte, Blanc. Comédien-auteur-directeur, sans ordre de priorité, il prend toujours et encore un réel plaisir à assurer en simultané tous ces rôles et fonctions pleinement complémentaires. En tant que comédien, il vient de jouer un seul en scène audacieux, actuellement en tournée: Bruno Moynot imite mal les humains, coécrit avec Samir Bouadi et Vanessa Szumeraj. Un véritable ovni théâtral, joué sans filet. Mis à part le fait que Bruno Moynot porte parfaitement le juste-au-corps « moule-génitoires », il affiche une liberté que le succès incontesté de ses camarades freinerait probablement. Il prend des risques sur scène car cela ne ressemble à rien de déjà vu, loin du comédien qui « performe » avec les déferlantes de vannes tapageuses du stand-up. Bruno Moynot désarçonne notre confort de spectateur en créant des silences perturbants, des moments d’incompréhension et d’égarement. Pas de leçons, de messages ou de causes défendues, peut-être invente-t-il le théâtre contemporain, dans l’esprit de l’art, qui exige l’implication du regardeur: après Marcel Duchamp, Bruno Moynot ? Le projet surréaliste lui correspond. Il pratique sans bruit l’art de la contre-performance, s’amusant à casser quelque peu les codes bourgeois du théâtre et même ceux du théâtre de boulevard. Celui qui croyait préférer jouer au sein d’une troupe affirme avoir pris du plaisir à jouer seul et le résultat est purement inédit. Il ne se prend définitivement pas pour une vedette et affirme son étonnement quand des fans du Père Noël est une ordure et des Bronzés viennent lui demander des autographes à la sortie de son spectacle, sans y avoir assisté. Il s’exécute toujours avec gentillesse, se disant atteint du « syndrome de Dave », le chanteur hollandais qui a beaucoup composé depuis Vanina mais que le public résume à un titre.

Bruno Moynot par Agnès Santos Torres.

«J’ai eu de la chance» répète-t-il fréquemment avec une réelle humilité. Reprenant le mot de Churchill qui affirmait que «la chance n’existe pas, elle est l’attention aux détails», Bruno Moynot n’est pas chanceux mais simplement bien présent aux autres et aux choses autour de lui, observateur, curieux et ayant la capacité de réaliser ses envies de création. Celui qui affirme «avoir du mal à se vendre» n’en a pas eu besoin, il a joué dans une trentaine de rôles pour le cinéma et participé à deux grandes séries de la télévision française de ces trente dernières années : Maguy et Plus belle la vie dans le rôle d’un vieux baba-cool. Pas vraiment des pas de côté car il n’a aucune disposition pour une quelconque forme d’élitisme. Cet ancien étudiant de Polytechnique Lausanne issu d’une famille de onze enfants d’ingénieurs et de médecins, qui se réjouissent de son épanouissement professionnel ininterrompu, s’amuse depuis près de cinquante ans avec bonheur. Son inadaptation au subi et à l’ennui est exemplaire. Il ne cache pas qu’être l’un des auteurs des Bronzés, des Bronzés font du ski et du Père Noël est une ordure contribue grandement à sa liberté. Son désir de continuer à écrire est vif et c’est une bonne nouvelle car son écriture est singulière, elle ne pousse pas au rire forcé; elle est comme suspendue, venue d’ailleurs.

« C’est au pas de course que nous avons déménagé de la rue des Lombards au 48 rue du Faubourg Saint-Martin. »

La troupe du Splendid était initialement composée d’amis de lycée, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte et Michel Blanc pour les garçons, puis Valérie Mairesse et Marie-Anne Chazel pour les filles. La première salle dans laquelle ils ont commencé à jouer en 1973 était passage du Départ à Montparnasse. La rencontre de Bruno Moynot avec la troupe se fait par Josiane Balasko. La comédienne remplacera Valérie Mairesse dans l’équipe qui s’installera ensuite rue des Lombards. Après travaux, ces auteurs-bailleurs monteront sur scène en 1976 avec Le Pot de terre contre le pot de vin tout en poursuivant l’écriture d’Amours, coquillages et crustacés qui deviendra Les Bronzés. D’octobre à décembre 1979, le succès du Père Noël est une ordure est tel que la salle de 180 personnes ne peut contenir le public venu en meute, et la troupe part jouer la pièce à la Gaîté Montparnasse. Alors que le bail de la rue des Lombards n’est pas encore cédé, la troupe se met en quête d’une salle plus grande, et après quantité de théâtres visités dans le quar- tier des Grands Boulevards, arrête son dévolu sur le Casino Saint-Martin, alors un cinéma porno. «C’est au pas de course que nous avons déménagé de la rue des Lombards au 48 rue du Faubourg Saint-Martin» raconte Bruno Moynot.

En 1896, Les Fantaisies Saint-Martin voient le jour. Dirigé par un ancien baryton de l’Opéra- Comique, ce théâtre propose une première partie chantée puis la représentation de courtes pièces. En 1907, son rachat par les frères Georges et Léon Comte, qui administraient le Casino Montmartre, donne un nouveau souffle à la salle qui devient café-concert : le Casino Saint-Martin. Les gloires de l’époque viennent s’y produire, parmi lesquelles Mistinguett et le jeune Maurice Chevalier. L’histoire du Casino Saint-Martin accompagne celle du début du XXe siècle et si la Première Guerre mondiale ne l’a pas enterré, l’arrivée du cinéma a changé la donne, comme pour la centaine d’autres «caf ’conc’» parisiens. Après avoir vivoté, la scène du Casino a été occultée par un écran et l’établissement est devenu le cinéma Saint-Martin 48. Des artistes s’y produisaient encore occasionnellement jusqu’en 1952, date à laquelle il est redevenu Casino Saint-Martin mais pour n’être plus qu’une salle de projection. Des films pornographiques y seront projetés au cours des années 70, avant que l’apparition des cassettes vidéo ne commence à vider les salles spécialisées. Le 8 octobre 1981, le Casino Saint-Martin devient Le Splendid Saint-Martin.

La salle peut accueillir jusqu’à 300 spectateurs et propose deux pièces par soir. Le Splendid a monté plus de 200 spectacles en quarante-deux ans. La pièce Papy fait de la résistance a été jouée deux ans entre 1981 et 1983, et au cours de ces mêmes années, était donnée en alternance Bunny’s bar, pièce écrite et jouée par Josiane Balasko dans laquelle elle donnait la réplique à Bruno Moynot, « seul comédien à avoir été remplacé par Coluche », ainsi qu’il aime à le raconter. Le rôle était celui « d’un gros con qui se faisait défoncer avant d’arriver sur scène ». Coluche avait demandé à Bruno de prendre sa place un moment pour interpréter ce rôle jubilatoire pour un comédien. Afin de faire plaisir à son ami, ce dernier avait ainsi prêté son personnage à Coluche durant une semaine et avait vite repris son poste : « Je ne voulais pas le lui laisser ! »

La bande du Splendid rue du Faubourg Saint-Martin.

Le Splendid, c’est aussi une histoire de musique, indissociable d’un esprit collectif de fête, de création et de liberté. La troupe trouvait cela plutôt « classe » d’avoir son Grand Orchestre, et c’est en 1977 dans la cave de la rue des Lombards que plusieurs musiciens naviguant entre jazz, swing et salsa, à la recherche d’une salle, ont commencé à venir répéter. Jacques Delaporte et les frères Thibault (Xavier et Frédéric), fils de Jean-Marc, ont ainsi donné naissance à La Salsa du démon, Macao, entre autres titres. Le Grand Léchant Mou est une chanson coécrite avec Bruno Moynot, et quantité de gens illustres ou non y sont « langués ». Le Grand Orchestre du Splendid existe toujours et a participé à un spectacle multi-artistes en 2022. Mais ce n’est pas tout, Fred Chichin et Catherine Ringer des Rita Mitsouko ont commencé à se produire dans cette même cave porte-bonheur de la rue des Lombards. Et la musique a suivi rue du Faubourg Saint-Martin: en 1985 la chanteuse Sade y a donné un de ses rares concerts en France et Gilberto Gil s’y est produit en 1986.

De 1981 à 2023, les succès se sont enchaînés au Splendid Saint-Martin avec les spectacles de Josiane Balasko, de Valérie Lemercier, d’Elie et Dieudonné, d’Eric et Ramzy de Muriel Robin, ou Florence Foresti… La liste est longue et le souhait de programmation est toujours de découvrir et de donner leur chance à de nouveaux auteurs et comédiens. Un lieu de transmission également selon Bruno Moynot qui fait confiance aux fils de Gérard Jugnot et de Christian Spillemaecker pour dénicher de nouveaux talents, alors que depuis la crise du Covid, les théâtres n’ont pas retrouvé le rythme précédant mars 2020. Et pourtant il se passe encore des choses passionnantes sur la petite scène de 6 mètres par 6 du Splendid. Après la comédie Les Crapauds fous de Mélody Mourey, nommée trois fois aux Molières 2019, c’est au tour de Glenn, naissance d’un prodige, d’Yvan Calbérac, d’être à l’honneur de la cérémonie en 2023 avec six nominations et deux prix révélation féminine (Lison Pennec) et révélation masculine (Thomas Gendronneau). Une juste reconnaissance pour ces deux jeunes comédiens qui nous emportent durant une heure trente au rythme enlevé d’un récital de Glenn Gould. La pièce est prolongée et son succès mérité fait la fierté du directeur du Splendid.

Bruno Moynot pose devant les mains de l’équipe !

Nonobstant l’image forte de la troupe historique, la sève de l’humour monte encore en ce lieu à la façade années 80, sympathiquement kitsch et outrageusement colorée. Josiane Balasko et Thierry Lhermitte sont restés des amis proches. « Les amis, c’est comme une famille, il y a des frères et des sœurs que l’on voit plus ou moins » observe Bruno Moynot. « Le Splendid est l’Olympia du rire » est le mot que Mimie Mathy lui adressa un jour et qu’il se plaît à citer. Bien qu’étant parmi les plus discrets de la troupe du Splendid, il est certain que ce n’est pas « sur un malentendu », pour citer Jean-Claude Dusse, que Bruno Moynot occupe une place à part dans le Landerneau du théâtre. Un artiste en retenue et en décalé, à des années-lumière du diktat de l’instantané vide et bruyant du moment, dont la fantaisie et la poésie restent à découvrir.

Autrice : Agnès Santos Torres

 

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