Vereor

Elle a réuni une pléiade d’artistes de tous horizons en leur prescrivant un support commun : une boîte de médicaments. Cette correspondance artistique sur la résilience après les attentats donne lieu à une exposition intitulée Vereor (“craindre” en latin) effets secondaires à la médiathèque Françoise Sagan. Amélie Payan nous parle de ce projet hors du commun.

La boîte est un objet à la fois familier et intime, elle peut laisser planer le mystère sur son contenu selon qu’on la laisse fermée ou au contraire montrer ses secrets lorsqu’elle est ouverte. En confiant ces boites aux artistes, j’ai l’impression qu’il s’est opéré une sorte de fusion entre eux et toi, la trace de ton vécu est présente dans chacune des œuvres. Comment as-tu accueilli la transfiguration des différentes boites ?
La démarche a été longue. C’est au cours de l’été 2016, figée dans mon appartement parisien depuis novembre 2015 que j’ai réalisé que les boites de médicaments vidées s’empilaient. Je les ai déplacées, tenté de les rassembler pour les jeter mais en vain. Ces boîtes étaient la trace, la partie immergée de l’iceberg et je voulais les affronter, m’y confronter. Prise entre l’impossibilité de les jeter et la souffrance de les avoir sous les yeux, j’ai choisi d’en faire des supports, des surfaces pour autre chose. Tous mes sens étaient alors anesthésiés, je me trouvais dans la souffrance d’avoir perdu ces anciens refuges qu’étaient pour moi l’art, la littérature, etc. J’ai donc commencé à donner ces boites dans l’espoir de retrouver ce que j’avais perdu par le biais d’un échange, d’un dialogue. Au fil des retours, les boites transfigurées ont apporté chez moi un réveil sensoriel. Les boites devenues œuvres m’ont permis de quitter cet état de minéralisation. Un sens en appelant un autre, le projet a pris de l’ampleur. Si au début j’avais peur d’une forme d’impudeur – car donner une boite me paraissait comme donner un de mes organes – j’ai pu constater que chaque artiste s’appropriait cette boite vide qui devenait alors réceptacle pour des sensibilités, des souvenirs, des individualités. .

Différents artistes ont créé des boites, comme Joseph Cornell ou plus récemment Mano Kellner, le recyclage d’emballage de produits de la vie courante comme support à l’œuvre n’est pas rare notamment dans le pop art, l’art brut (Pierre Albasser entre autres). Connaissant ta culture en terme d’art en général et d’illustration / bande dessinée en particulier, comment est venue l’idée de recycler tes boîtes de médicaments en créations artistiques ? T’es-tu toi-même pliée à l’exercice de détourner certaines de tes boîtes par le dessin, l’écriture ou une autre technique ?
Un boite est un objet fort. Elle contient, retient. Elle est à la fois refuge et carcan. Très vite, j’ai eu l’impression que mon appartement était devenu une boite hermétique au monde extérieur, aux sensations, aux émotions. J’y suis restée figée, cloitrée. Donner mes boites était un premier geste vers une porosité vitale. Ces boites de médicaments me sont apparues comme les fameuses boites noires : l’indéfectible mémoire d’un choc, d’un accident, ce qu’il reste quand tout a volé en éclat. Mais j’ai aussi réalisé que la boite noire, au théâtre est l’espace scénique neutre, modulable, c’est le lieu de tous les possibles pour les artistes, l’espace de création. C’est pour cela que j’ai utilisé la boite comme matière première, laissant chaque artiste s’en emparer. J’ai moi-même travaillé à partir de ces contenants qui devenaient « pages blanches » et ai écrit, dessiné. J’avais ce besoin de me les approprier d’une façon différente. Pas uniquement d’en avaler la substance chimique.

Il semble que les artistes qui ont participé à ce projet se soient approprié très librement le support, à la fois dans sa forme (dessin, peinture ou photographie sur la boîte fermée ou dépliée, diorama, découpage, mise en volume, cut-up poétique à partir de la notice d’utilisation) et dans la diversité des thèmes (onirique, joyeux, surréaliste, conceptuel, sombre ou drôle). Comment s’est fait le choix des artistes, comment leur as-tu présenté le projet ?
Contacter les artistes était la chose la plus compliquée pour moi car il fallait, malgré toutes mes tentatives d’esquives, donner un contexte, expliquer un minimum. Sans entrer dans les détails, par pudeur, mais aussi pour que chaque artiste puisse trouver sa propre place dans ma boite, j’ai donné la date du 13/11/2015 comme point de départ – ou plutôt point de rupture pour moi. J’expliquais en quelques mots la démarche et tâchais de laisser chacun me poser, ou non, plus de questions. Certains ont voulu connaître l’histoire, d’autres pas. Dans tous les cas, des échanges forts sont nés.
Passionnée d’art et spécialisée dans le dessin et la bande dessinée, j’ai la chance d’avoir un entourage composé à 80 % d’artistes. J’ai d’abord contacté ceux qui « savaient » – c’était plus simple pour moi. Puis, le projet a grandit et je me suis tournée vers des artistes que je ne connaissais pas intimement. Vereor réunit des artistes dont j’aime le travail et la sensibilité. J’ai contacté des artistes dont le travail me parlait avant tout cela.

Qu’est ce qui a déterminé le choix du lieu de l’exposition, la médiathèque Françoise Sagan ?
La médiathèque Françoise Sagan est une ancienne prison pour femme. De part ce pan historique le lieu m’intéressait. Sa localisation dans le 10e arrondissement – le mien, celui où tout cela s’est passé a aussi joué. En outre, c’est un endroit dans lequel j’allais souvent me réfugier – parmi les livres que je ne pouvais plus lire, mais qui me rassuraient. L’équipe de la médiathèque a été très réceptive à ce projet. Pour moi c’était l’évidence que c’était le lieu pour ce premier chapitre de Vereor.

D’autres projets dans les tuyaux, ou devrais-je dire dans les boites ?
D’autres projets ? Tout d’abord, continuer Vereor. Les boites sont toujours là… il y a donc encore de la matière première et j’aimerais développer ce projet, montrer l’exposition ailleurs, solliciter de nouveaux artistes, accueillir les artistes retardataires (hé hé) et réfléchir à une possible publication. Poursuivre les dialogues entre les formes artistiques, etc.

Du beau avec du moche
Kek, dessinateur et ami d’Amélie Payan, était à ses côtés le soir du 13 novembre, il nous raconte en bandes dessinées sur son compte instagram @kekzanorg, cette nuit d’effroi,  le trauma qui en a résulté et la genèse du projet.

Exposition du 28 avril au 28 mai
Médiathèque Françoise Sagan
8, rue Léon Schwartzenberg 75010 Paris

Conception : Amélie Payan

Scénographie : Philippe Dupuy / Amélie Payan

Artistes représentés : François Avril, Thibault Balahy, Simone Baumann, Marion Bataille, Claire Boucl, Louise Brunno, Lucas Burtin, Édith Chambon, Chavouet Florent, Joanna Concejo, Oliver Conrad, Sophie Darcq, Clara Debray, Philippe Dupuy, Marielle Durand, Louise Duneton, Cornelia Eichhorn, Brecht Evens, Jochen Gerner, Céline Guichard, Loo Hui Phang, Kévin Nave, Matt Konture, Jean Lecointre, Matthias Lehmann, Victor Lejeune, Lmg Nevroplasticienne, Juliette Mancini, Margaux Meissonnier, Amandine Meyer, Vahram Muratyan, Giacomo Nanni, Nylso, Julien Payan, Mathilde Payen, Emilie Plateau, David Prudhomme, Benjamin Redcatcity, Claire Le Roy, Théa Rojzman, Bertrand Sallé, Camille Sauvage, Julia Spiers, Caroline Sury, Anne Touquet, Hector de la Vallée, Aline Zalko, Lisa Zordan

Compte instagram : @vereor.406

 

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