Cousu main

© Inga Sempé

Le Faubourg Saint-Denis, une ruche qui bourdonne habituellement de mille activités, souffre d’une hibernation prolongée. La course des traceuses, le ronron des imprimantes, la vapeur des fers à repasser, le cliquetis des machines à coudre sont réduits au silence. Pas toutes les machines cependant, des petites mains ne se sont pas laissé embobiner par un tissu de carabistouilles cousues de fil blanc. Les petites machines sont ressorties des placards afin de confectionner un accessoire de quelques centimètres carrés de tissu capable de nous redonner une certaine autonomie ainsi que l’espoir d’une éclosion printanière, même tardive, de notre irremplaçable vie de quartier. Certes, la conversation animée du Faubourien sera en partie entravée par cet écran, mais les temps imposent sa multiplication sur toutes les bobines pour en découdre avec le virus et renouer avec notre vie quotidienne. Les personnes les plus exposées de nos quartiers ainsi que les personnels des hôpitaux manquent de masques et autres vêtements de protection. S’approvisionner en masques jetables chinois paraît incongru quand on peut les produire localement à coût modique, en tissu réutilisable ; tout en s’affranchissant d’un sac de nœuds de contraintes logistiques. La relocalisation et le durable s’imposent. Aussi est-il paradoxal que seules les machines de particuliers et d’artisans soient en action quand nos ateliers textiles sont au repos. La trame des 300 ateliers textiles parisiens s’étend en partie sur le Faubourg Saint-Denis. Les petites machines à coudre de nos apparts suivent le droit fil d’une tradition tissée durant des générations par des familles juives d’Europe de l’Est, puis des communautés turques et kurdes d’Anatolie ou la diaspora chinoise Wenzhou. Le 10e ne manque pas de bonnes volontés et de multiples initiatives et solidarités se développent pour produire des masques, soit pour son entourage, soit à destination de professionnels qui en ont tant besoin. La designer Inga Sempé qui fournit les hôpitaux, l’équipe de Make my Lemonade qui a diffusé des patrons en ligne, Anne Ferrer, artiste plasticienne, qui a équipé les futures mamans de la maternité de Lariboisière et toute une série d’autres petites mains.

Coudre son premier masque, c’est pas coton : tout d’abord démêler un écheveau de patrons, tutos et conseils disponibles en ligne ; puis recycler les vieux t-shirts ou les draps troués, ou récupérer de solides torchons au Monop. De fil en aiguille, le métier rentre ; au vingtième spécimen, on joue sur du velours : les gestes s’affirment, les coutures en zig-zag affinent leur trajectoire. Il y a du mieux, ça fait pas un pli. En confiance, on équipe ses proches, ses amis, les employés de nos commerces préférés, puis les demandes arrivent de plus loin… Face à l’urgence de la situation, le Béotien se mue en spécialiste en deux trois semaines. Son objectif est de coudre un accessoire qui devient essentiel une fois paré de toutes les qualités souhaitées : protecteur, respirable, agréable à porter et pourquoi pas, élégant.
Mais voilà que les fournitures viennent à manquer : les élastiques, les biais, le ruban, le fil, le coton à maille serrée, les lingettes électrostatiques. Alors que la région Nord ainsi que le Grand Lyon ont monté une trame solidaire pour fournir tissus et fournitures de qualité aux couturier(e)s amateurs, en ces temps de pénuries ne pouvons-nous pas profiter du tissu d’entreprises parisiennes spécialisées dans le textile pour créer un réseau d’entraide afin de subvenir localement à l’ensemble des besoins en masques et autres vêtements de protection ?

La Mairie de Paris a certes annoncé il y a quelques jours la confection de masques pour les Parisiens par des entreprises solidaires, mais leur mise à disposition prendra sans doute un certain temps. Nos petites machines tournent déjà depuis un mois. Elles manifestent notre volonté de nous en sortir collectivement, sans attendre les avions cargo ou les grandes décisions. Les talents et les énergies sont là, les ressources dont nous manquons sont parfois à quelques mètres, au fond d’un atelier voisin. J’en appelle donc aux professionnels du textile, aux écoles de stylisme, aux détaillants à se mobiliser pour proposer leurs stocks de tissus, d’élastiques et de rubans aux amateurs. Que ces derniers puissent poursuivre leur action essentielle, contribuer à faire revivre notre arrondissement et battre à plate couture cet ennemi invisible.

Auteur : Xavier Boissarie

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