Bouillon Julien

Le Bouillon Julien aujourd’hui, après sa rénovation. © DR.

Il y a tout juste un an, avec plusieurs actionnaires — dont Jean-Noël Dron et le groupe Trasco —, Pascal Le Bihan reprenait l’ancienne brasserie Julien. Ouvert en 1906, ce lieu mythique où l’on mange bien pour pas cher est aussi un fleuron de l’Art nouveau.

En 1850, en lieu et place de l’actuel Bouillon Julien, était installée une gargote du nom de Goreau. En 1856, un certain Fournier rachète cette modeste affaire. En mars 1902, son fils Édouard, architecte et ingénieur, obtient l’autorisation de remplacer le bâtiment par un immeuble avec restaurant. Il faut noter qu’à l’époque, la vie artistique du quartier, avec ses nombreux théâtres, avait renforcé l’attrait de l’emplacement. La construction démarre la même année. La décoration intérieure du restaurant est confiée à des maîtres de l’époque, Armand Ségaud et Louis Trezel. Pour ses figures féminines, ce dernier s’inspire des affiches d’Alfons Mucha représentant Sarah Bernhardt. Ironie de l’histoire, lorsqu’elle jouait au théâtre de la Renaissance, la tragédienne faisait livrer ses repas par Hans, une brasserie de la cour des Petites Écuries – cette brasserie au nom germanique, rebaptisée Flo dès 1914, puis Floderer en 2017, a aujourd’hui la même direction que le Bouillon Julien. L’établissement d’Édouard Fournier, dont l’exploitation commerciale débute en 1903 sous le double nom de Gandon-Fournier, est officiellement inauguré en 1906. Il aura alors plusieurs dirigeants successifs parmi lesquels en 1910 « Calmels et Causse », déjà à tête du Grand Colbert, rue Vivienne. En 1924, Julien Barbarin, neveu d’Édouard Fournier, hérite du restaurant. Il entreprend quelques réfections sur la verrière (dessinée par Charles Buffet, le père du peintre Bernard Buffet, et réalisée par Georges Guenne, spécialiste des vitraux d’art) et fait installer une enseigne en lettres métalliques au dessus de la porte d’entrée. Ce n’est pourtant qu’en 1938 que le restaurant prendra le nom de « Julien », parfois « Chez Julien ». Le bouillon devient alors une référence dans ce quartier populaire. En 1948, la table n° 24 a pour habitués Édith Piaf et son grand amour Marcel Cerdan. Le réalisateur Olivier Dahan y tournera d’ailleurs quelques scènes de son film La Môme (2007). En 1956, Julien Barbarin fonde avec son fils Henri la société Barbarin, Père & fils.

Julien dans les années 1970. Photo Darrigo, extraite de Paris, boutiques du temps passé, éditions Parigramme. © DR.

En avril 1975, Henri cède l’affaire à Jean-Paul Bucher, président directeur-général du groupe Flo. Quelques années plus tard, celui-ci obtient du nouveau ministre de la Culture Jack Lang l’inscription des verreries murales à l’inventaire des monuments historiques. L’intégralité de la brasserie – décorations intérieures et façade – sera classée en octobre 1997, sous la mandature de Catherine Trautmann. Malgré cette reconnaissance, l’établissement est en difficulté. Le groupe Flo s’en sépare en 2006 et, à l’issue de diverses tractations, Julien tombe dans le portefeuille du groupe Albert Frère. Mais la crise de 2008 n’épargne pas le financier qui à son tour jette l’éponge ou plus précisément la serviette ! En avril 2017, c’est au tour du groupe Bertrand (spécialisé dans la distribution de boissons et propriétaire de Quick) de reprendre l’affaire. Ces nombreuses péripéties finissent par affecter l’activité et l’image de la brasserie : sa notoriété baisse, sa table déçoit, sa fréquentation chute. Il faudra attendre la rentrée 2018, avec une nouvelle direction, un chef et quelques travaux pour que renaisse ce lieu historique. Sans oublier un changement de nom, « Bouillon » ayant remplacé « Brasserie ». En un an – depuis le 5 octobre 2018 – l’équipe a donné la preuve de son envie et de ses moyens de bien faire. Aujourd’hui, le Bouillon Julien peut accueillir jusqu’à 180 clients, attirés autant par la qualité de sa cuisine que par son décor exceptionnel.

“Ici tout est beau, bon, pas cher, comme le disait son fondateur Édouard Fournier.

À la bonne table !

Pas de doute sur le « beau », le « bon » est confirmé et le « pas cher » garanti : œuf dur et sa mayonnaise maison (2,90 €) ; salade d’endives à la fourme d’Ambert et cerneaux de noix (4,90 €) ; demi-coquelet grillé, sauce diable, frites (10,90 €) ; brandade de poisson, coulis de tomate (8,80 €) ; rumsteak Simmental, pommes Macaire et sauce au poivre (13,60 €) ; choux chantilly (2,90 €) ; riz au lait, caramel au beurre salé (3,30 €).

Pascal Le Bihan, directeur général du Bouillon Julien, est fier de son restaurant.
Pouvez-vous nous présenter le Bouillon Julien ?
Comme le disait Édouard Fournier, son fondateur : « Ici tout est beau, bon, pas cher ». Depuis un an, c’est de nouveau un bouillon, donc un endroit très abordable. Bon, car tout y est fait 100% maison, sous la houlette de Christophe Moisand, notre directeur culinaire, chef étoilé pendant dix-sept ans. Et beau, parce que de l’avis général c’est l’un des plus beaux restaurants de Paris ! Nous avions envie de redonner sa superbe à ce lieu historique.

C’est un véritable musée…
Oui ! Les quatre « femmes fleurs » symbolisant les saisons sont l’œuvre du maître-verrier Louis Trezel, inspiré par Mucha. Les deux panneaux du fond, avec leurs paons qui se font face, sont d’Armand Ségaud, autre grand artiste de l’époque. Les carrelages aux motifs de géraniums et de marguerites ont été conçus par Hippolyte Boulenger, fabricant des carreaux blancs du métro parisien (ndlr : retrouvez l’histoire de la faïen- cerie Boulenger dans notre n° 6). Quant aux meubles, parmi lesquels le magnifique bar en acajou de Cuba recouvert d’étain, on les doit à Louis Majorelle !

Christophe Moisan (à gauche) et Pascal Le Bihan. © DR.

Avez-vous fait des travaux en reprenant le lieu ?
Nous n’avons pas mené de travaux d’envergure mais plutôt recherché l’authenticité, avec l’aide du designer britannique John Whelan. Il faut dire que le dernier coup de peinture remontait aux années soixante-dix… Les murs avaient pris une teinte marron-jaune, cette couleur « nicotine » qui rappelle qu’il n’y a pas si longtemps on fumait à l’intérieur. Surtout, en effectuant une stratigraphie de la peinture, nous avons fait une incroyable découverte : les murs d’origine n’étaient pas beiges comme nous l’imaginions, mais d’un beau vert céladon ! Pour le restaurer, il a fallu un mois de travaux et l’on a compté jusqu’à dix-neuf peintres sur le chantier. Aujourd’hui, le Bouillon Julien a retrouvé sa couleur d’époque et le décor toute sa beauté… Nous avons même adapté l’éclairage pour qu’il soit plus authentique et surtout moins froid. Résultat : depuis la reprise, nous avons multiplié le chiffre d’affaires par cinq !

Le bouillon, version Fournier, dans les années 1920. © Collection André Krol.

Bouillon Julien 16, rue du Faubourg Saint-Denis 01 47 70 12 06
www.bouillon-julien.com
www.facebook.com/bouillonjulien

Auteur : Vincent Vidal

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