Traits d’humour

Le galeriste Michel Lagarde et Joanna Journo, créatrice du compte Instagram Un jour une illustration, exposent vingt dessinateurs d’humour, soit un siècle de dessin d’humour, à la galerie Treize-Dix jusqu’au 5 mars. Entre deux éclats de rire couchés sur papier, c’est très sérieusement qu’ils répondent à nos questions.

Comment vous est venue l’idée de faire cette exposition autour du dessin d’humour ? en marchant sur un râteau ? en glissant sur une peau de banane ? Comment avez-vous sélectionné les différents artistes et leurs dessins ?
Michel Lagarde : L’idée, c’était surtout de ne pas se ramasser en compilant le meilleur du dessin d’humour, celui qui nous touche et les dessins que nous avions en réserve avec souvent l’aide des familles des dessinateurs sélectionnés.
Joanna Journo : L’idée de cette exposition est née d’une somme de hasards, de rencontres et de découvertes. Et surtout, une envie commune avec Michel de célébrer le dessin d’humour.

Willem

C’est quoi un bon dessin d’humour ? Avec ou sans paroles ?
ML : C’est d’abord un dessin qui parle à notre intelligence, qui traverse les époques tout en gardant sa pertinence, et qui déclenche au minimum un sourire de complicité avec le spectateur. Nous avons exclu volontairement de cette sélection le dessin d’actualité souvent peu compréhensible quelques semaines ou quelques mois après, à l’exception notable d’un dessin historique de Willem qui symbolise la réunification des deux Allemagne en 1989 et dont la force graphique dépasse la simple anecdote.
JJ : un bon dessin d’humour, c’est pour moi un dessin qui dit beaucoup avec peu de traits, qui fait esquisser un sourire au premier coup d’œil. Avec une dose de légèreté, de second degré, un peu d’auto-dérision aussi sur la nature humaine ou les situations que l’on peut rencontrer au quotidien.

Et vous, c’est quoi qui vous fait marrer ?
ML : Parmi les français, j’ai beaucoup d’admiration pour les classiques comme Kiraz, Sempé, Tetsu qui savent allier un dessin admirable à une légende décalée. J’apprécie tout autant l’humour cérébral des cartoons du New Yorker, que celui plus coup de poing d’Hara-Kiri de Reiser à Topor, de Fred à Gébé, que celui plus grivois que l’on peut retrouver dans des revues populaires comme Le Rire avec des dessinateurs des années 50 comme Dubout, et les débuts de Pichard et Moallic. Sans oublier l’humour noir plus cérébral avec des maîtres comme Bosc et Chaval. J’ai grandi avec les albums thématiques des Humoristes Associés rassemblant des auteurs comme Avoine, Blachon, Bridenne, Siné et tant d’autres. Parmi les auteurs contemporains, Voutch, Catherine Meurisse et deux invités de l’exposition, Stéphane Trapier (connu depuis 20 ans pour ses affiches du Théâtre du Rond Point) et l’excellent Charlie Poppins qui pratiquent un humour aux frontières de l’absurde que j’apprécie particulièrement.
JJ : Les dessins de Sempé, bien sûr, et ceux du New Yorker, des plus anciens avec Sam Cobean, William Steig, Chas Addams, Claude, Steinberg, mais aussi les actuels, les héritiers qui ont gardé le même esprit dans leurs dessins. J’aime aussi les dessins de Peynet, drôles et poétiques.

Comment avez-vous découvert le dessin d’humour ?
JJ : J’ai découvert le dessin d’humour avec Sempé, à qui j’avais consacré une page instagram (Un jour un Sempé) pour rendre hommage à ses dessins chaque jour. À la fermeture de ce compte, comptant plus de 45000 abonnés, je voulais continuer de proposer à des passionnés de dessin un rendez-vous quotidien. Au fil des découvertes, et grâce à des experts comme Michel et quelques amis, j’ai appris en accéléré les grands noms du dessin d’humour, que je partage depuis chaque semaine sur mon compte Un jour une illustration. J’y poste aussi une ou deux fois par mois des couvertures du New Yorker. J’aime l’idée de partager des dessins d’humour anciens, et faire découvrir des noms peu ou pas connus de ceux que j’appelle la génération Instagram (dont je fais partie !).

LE DESSIN D’HUMOUR,
C’EST SOUVENT UNE HISTOIRE DE BANDES.

Pas des bandes dessinées avec des légendes, mais des dessins qui parlent tout seuls et qui résonnent longtemps. Donc des bandes de dessinateurs…

Les caricaturistes et les satiristes du XIXe siècle ont ouvert la voie aux humoristes. La bande d’Alphonse Allais égayait les nuits du Chat Noir du côté de Montmartre dans les années 1900. En France et en Allemagne, L’Assiette au Beurre et le Simplicissimus se disputaient la crème de la crème des dessinateurs avant que ceux-ci ne partent à la guerre crayons et baïonnettes en main. Le grand Gus Bofa, qui y perdit presque ses jambes et certainement ses illusions, affûta ses pinceaux dans les hôpitaux militaires, se moquant des médecins gradés et des profiteurs de guerre. Fondateur du Salon de l’Araignée, cet ami de Carco et de Mac Orlan devint le chef de bande respecté d’une génération sacrifiée. La bande du Crapouillot, celle de Galtier-Boissière, élevait alors le dessin d’esprit au rang des beaux-arts.

La gaudriole n’avait pas pour autant dit son dernier mot. Le Rire a tenu le cap pendant soixante-quinze ans, et dans les années 1950 et 1960 les signatures de Dubout, Gring, Peynet, Mose ou Pichard en élevaient un peu le niveau. Si la presse populaire regorgeait de dessinateurs plus ou moins médiocres, tombés irrémédiablement dans l’oubli, on y trouve parfois des perles. Les blagues de belles-mères et de maris trompés faisaient oublier l’ordinaire avant l’arrivée de la télé. Ces bandes de dessinateurs, généralement fauchés, se réconfortaient en se tenant les coudes, le carton à dessin sur les genoux (pas vraiment pratique), et en écumant chaque semaine les couloirs des rédactions avec la peur au ventre. Il fallait d’abord faire rire le patron, ou au moins sa secrétaire, avant de repartir avec un chèque, ou le plus souvent l’infamant sceau rouge « Refusé » accompagné du tampon d’Ici Paris ou du Hérisson, de France-Soir ou de France Dimanche.

Guy Bara ou Mary égayaient les colonnes de leur strips muets en trois cases. Max l’explorateur faisait tourner la tête de Mademoiselle Cabriole avant de se faire mordre les mollets par le basset Tick, et Carbi mettait des étoiles dans les yeux de ses personnages. Les plus téméraires s’essayaient au dessin sans légende. Sempé et Moallic partageaient un petit atelier dans le 18e arrondissement, bien avant de rêver aux pages du New Yorker pour l’un ou de Pif Gadget pour l’autre. Les places étaient chères à Paris Match, Bosc et Chaval s’y partageaient le gâteau.

Puis l’arrivée de la bande à Choron et Cavanna est venue tout dynamiter, avec Fred, Gébé et Topor, rejoints très vite par Willem, le génial hollandais violent, Wolinski, des transfuges de Pilote nommés Cabu et Reiser et quelques autres. Entre-temps, la ligne de Steinberg avait fait tourner les têtes d’une génération de dessinateurs, de Folon à Siné.

Paris, la capitale du dessin d’humour, attirait dans ses filets le so british Ronald Searle qui avait élu domicile du côté de la rue des Beaux-Arts tandis que Bretécher faisait les beaux jours du Nouvel Obs. André François, Mose et Chaval, tous découverts chez Delpire à leurs débuts, s’exportaient désormais dans le monde entier, de LilliputPunch en Angleterre, d’Esquire au New Yorker aux États-Unis. Les signatures de Bosc, Chaval, Folon ou Sempé portaient haut le drapeau tricolore. Kiraz, venu du Caire, faisait déjà bande à part et préférait croquer les Parisiennes aux terrasses des cafés. Il faisait, avec Tetsu, les belles pages de Jours de France pour le plus grand bonheur des salons de coiffure et de Tonton Marcel (Dassault).

Les éditeurs qui comptent s’appelaient Delpire, Denoël et Pauvert, Diogenes en Allemagne. Michel Ragon ou Jacques Sternberg écrivaient les premières lignes d’une histoire du dessin à travers les anthologies de Planète dirigées par Louis Pauwels (encore un sacré rigolo), les hors-série de la revue Bizarre de Jean-Jacques Pauvert ou encore ceux d’Opus International et autres Satirix.

La galerie Marquet présentait à Saint-Germain-des-Prés les tout jeunes Folon, Granger et Topor. Dans ces années 1970, Desclozeaux réunira les meilleurs d’entre eux en juillet, du côté d’Avignon, au pays de Bosc, sous les bons auspices de la SPH (Société protectrice de l’humour) créée pour l’occasion avec la bande à Bonnot, Cardon, Gourmelin, Puig Rosado, et bien sûr Searle, venu en voisin. Puis ce fut l’heure de la bande des Humoristes Associés (HA !), au tournant des années 1980, qui tout en écumant les bistrots du côté du parc Montsouris ont porté haut les couleurs de la camaraderie et du dessin dans la grande presse. Ils s’appelaient Avoine, Barbe, Blachon, Loup, Mordillo, Siné et Soulas, entre autres joyeux lurons avinés. On dit même que beaucoup ont fait « l’humour à Trouville » grâce à l’infatigable Danièle Costes Lombard, accompagnée d’une fanfare du Piston Circus sous le parrainage du grand Savignac. Dans les années 2000, Danièle Delorme a pris courageusement le relais, pendant plus de dix ans, au 7, rue Campagne-Première en exposant Beuville, Bofa, Boll, Bosc, Maurice Henry, Tetsu et tant d’autres à l’atelier An. Girard.

Les rares survivants se portent encore bien mais se comptent désormais sur les doigts d’une main. Et puis on a un peu oublié la légèreté, les pages people ont remplacé les dessins depuis bien longtemps, la poésie et l’absurde ont fait place à l’actualité et à la politique, avec Willem en digne héritier des plus grands satiristes. Heureusement Serge Bloch, Catherine Meurisse, Micaël, Charlie Poppins, Trapier, Voutch et quelques autres raniment cette petite flamme que l’on espère voir vibrer dans les yeux des visiteurs de cette première édition de « Traits d’humour ». Grâce à eux, le dessin d’humour bande encore !

Michel Lagarde

 

Charlie Poppins

UN JOUR UNE ILLUSTRATION
est une bulle de poésie de légèreté, un instant de répit virtuel parmi les centaines d’informations et de contenus auxquels nous sommes confrontés chaque jour.

Les dessinateurs et illustrateurs ont un super-pouvoir : ils recomposent la réalité avec leur vision, leur trait, leurs souvenirs et leur univers singuliers.

Ce qui fascine avec le dessin d’humour, c’est la capacité des dessinateurs à retranscrire des situations, parfois absurdes, du quotidien, de les magnifier, les rendre comiques. Transformer les petites faiblesses ou failles du genre humain en situations attachantes et drôles. L’économie du trait en fait sa force.

Ma passion pour le dessin d’humour est née le jour où j’ai découvert Sempé, Steinberg et le New Yorker, une vraie mine d’or.

Une découverte en amenant des dizaines d’autres assez naturellement, j’ai plongé avec passion dans les dessins de Chas Addams, Bosc, Chaval, Cobean, André François, Fred, Tetsu, Mose, et bien d’autres (la liste serait longue !)… que je fais découvrir au fil des publications sur Un jour une illustration, aux côtés d’autres artistes talentueux.

Cette communauté réunit près de 30 000 passionnés, et me permet de rendre hommage aux grands noms du dessin, qui apportent chaque jour une dose de bonne humeur, un sourire.

Joanna Journo

 

Photographies du vernissage par Cécile Lemaître

Trapier
Exposition du 9 février au 5 mars 2022
à la Galerie Treize-Dix 13,
rue Taylor 75010 Paris
Galerie ouverte de 15 h à 19 h
du mercredi au samedi
et sur rendez-vous

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